Aperçu de la société politique sénégalaise, et perspectives pour 2012

Publié le par Baréma Bocoum

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Moins de deux ans avant les élections présidentielles, le Président Wade affiche clairement sa volonté de modifier la Constitution de son pays pour briguer un nouveau mandat en 2012.

Si les modifications constitutionnelles sont monnaie courante au Sénégal depuis l’indépendance du 4 avril 1960, elles sont également effectuées la plupart du temps dans le but d’asseoir un pouvoir déjà en place, et/ou de décider de la succession du Président.

En 1980, la démission de Léopold Senghor, deux ans avant la fin de son mandat, était prévue pour que, de manière constitutionnelle, son Premier Ministre, Abdou Diouf, prenne les rênes du pouvoir et perpétue la tradition socialiste à la tête de l’Etat.

Avec différents facteurs sociologiques prégnants et non négligeables, le Sénégal envisage le concept de démocratie différemment de sa conception occidentale.

Alors que dans le discours de La Baule en 1990, François Mitterrand envisageait 5 points essentiels pour qualifier de démocratiques les pays africains – à savoir un système représentatif, des élections libres, le multipartisme, la liberté de la presse, l’indépendance de la magistrature et le refus de la censure – la démocratie sénégalaise doit composer avec des éléments d’ordre religieux, ainsi que de ce qu’on qualifie de système gangrené par la corruption.

Gouverner l’Etat sénégalais devient donc un rapport de force permanent qui pousse le Président actuel à user de différents moyens pour ne perdre ni sa place ni son influence.

Alors que la caution nécessaire à la présentation de candidature à l’élection présidentielle a été augmentée à presque 150 millions de FCFA, la volonté de changement dans le régime étatique n’a jamais été aussi forte ; le mouvement SOPI (changement en wolof), n’a pas été à la hauteur des attentes des électeurs qui espèrent en une nouvelle alternance, du moins en un renouveau dans les candidats et la politique en 2012.

L’augmentation de la caution restreint la liste des candidats potentiels qui doivent, pour pouvoir se présenter et s’acquitter de la somme, disposer déjà de réseaux d’influence forts et fiables, chose plus facile après plusieurs années de présence politique ; d’où la difficulté croissante de renouveau politique dans le pays…

Ce nouveau modèle que tout le monde attend doit se conjuguer avec l’influence religieuse du pays. Avec 90% de musulmans dans la population, le Sénégal est une terre de mixité où les religions monothéistes et animistes vivent ensemble au travers d’identités ethniques communes, mais aussi avec une unité de langue et de conception de la nation sénégalaise.

L’Islam sénégalais est d’origine soufie, se divisant en trois confréries principales : la quadirriya, la mouridiyyaet la tidjanniyyadont les chefs spirituels se servent de leur influence sur les esprits de leurs disciples pour participer au jeu électoral et politique en promettant le vote de leurs ouailles au candidat dont ils se sentiront le plus proche.

Malheureusement, il s’agit très souvent d’injonctions de vote, les ndiggël, qui sont formulés par les marabouts à leurs fidèles en échange de promesses financières ou morales de la part des candidats ; c’est un des premiers maillons de la chaîne de la corruption du monde politique et de l’échec de l’Article 1erde la Constitution de 2001, à savoir que le Sénégal est une République laïque, sous entendu que le religieux peut se manifester sans entrave à l’ordre public, et surtout, séparément à toute action étatique.

Le Président Maître Abdoulaye Wade, fervent mouride pratiquant, a failli à son rôle de représentant de cette société indépendante de la religion musulmane en emmenant les caméras de télévision avec lui lors de sa retraite à Touba, la ville sainte mouride, pour remercier le Khalife Général de la confrérie de sa participation spirituelle à sa victoire électorale en 2000 et en 2007.

Avec ses différentes incartades envers la communauté chrétienne, Abdoulaye Wade a véritablement cherché à favoriser une religion par rapport à une autre et a imposé sa vision de la religion et l’influence qu’il a sur ce milieu, ainsi que sa relation de confiance avec le chef des mourides.

Contrairement à Abdou Diouf qui misait sur la communion des religions et évitait toute entrée du monde religieux dans la sphère politique, le Président du Parti Démocratique Sénégalais Libéral Wade est aujourd’hui au cœur d’une polémique sur sa non prise en considération de l’environnement pacifique et assimilateur de la société sénégalaise.

Cette même société, victime du syndrome réducteur des pays en développement qu’est le taux d’alphabétisation encore faible, se trouve dans une incapacité matérielle de créer des emplois et des activités extensibles à l’ensemble de la société, autres qu’agricoles. Même si le tourisme représente une part de plus en plus grande dans le PIB du pays, il s’agit de services, certes fournis par la population sénégalaise, mais régis par des expatriés, Français pour la plupart qui accaparent la création de richesse et les avantages de l’augmentation de la masse touristique.

C’est ainsi que se développent les activités et commerces parallèles, qu’ils soient de l’ordre de marchandises ou, malheureusement, humain, avec la triste réputation de la station balnéaire de Saly en matière de tourisme sexuel. De plus, la corruption des systèmes de santé et le besoin permanent de monnayer les soins, les certificats et les médicaments sont un problème important qui a beaucoup de difficultés à être résorbé ; différents échelons de paiement se succèdent afin de permettre l’accès aux soins dans les établissements publics de santé.

La mission du nouveau Chef de l’Etat en 2012 sera multiple : retrouver la confiance de la population sénégalaise, en matière humaine – faire preuve de diplomatie, d’acceptation, de franchise et droiture – et en matière politique – créer un véritable renouveau de la classe politique, avec de « nouvelles têtes » pour de nouvelles idées et un renouvellement de l’action politique au sens strict –. Il s’agira de redonner un sens véritable à ce qu’est, ou plutôt à ce que doit être la politique sénégalaise ; la volonté de Abdoulaye Wade d’assurer sa succession laisse sous entendre une volonté népotique.

Si Karim Wade monte de plus en plus en grade dans le Gouvernement actuel, peut être faut-il craindre qu’après une éventuelle réélection de son père en 2012, celui-ci ne le nomme Président du Conseil Constitutionnel ; en effet, à l’instar de Senghor, comme nous l’avons vu auparavant, si Wade démissionnait, ce serait au Président du Conseil Constitutionnel de prendre la succession en attendant les élections présidentielles suivantes.

Il pourrait ainsi installer son fils au pouvoir pour la moitié de son septennat ; ainsi, Karim Wade aurait encore 3 années devant lui pour acquérir la confiance des Sénégalais – alors que sa branche du PDSL, la Génération du Concret, essaie de rassembler les jeunes sympathisants du Parti – et devenir crédible et capable d’assumer les fonctions de Président de la République du Sénégal de nouveau, aux élections de 2019.

Ce processus permettrait à Wade Père de garder un œil attentif sur la gestion de l’Etat et sur ce qu’il a mis en place pour assurer le financement de sa « retraite politique », notamment grâce aux pseudos droits d’auteur qu’il s’est gracieusement accordé sur la réalisation et la construction de la Statue de la Renaissance Africaine à Dakar.

Le prochain Président, s’il change, devra composer avec les différentes composantes de la société pour faire une démocratie nouvelle, axée sur ce qu’est le Sénégal : une terre d’accueil, de mixité, de prise en compte des croyances et pratiques ethniques, qui cherche à se sortir des différentes difficultés qui se dressent devant elle, l’analphabétisme, le manque de ressources et d’emplois.

 Il conviendrait également de rendre compte de l’importance de la représentation locale dans la vie politique.

Il semblerait qu’il puisse être efficace d’organiser des conseils de proximité, où, comme dans la démocratie athénienne, chaque citoyen pourrait venir porter ses doléances ; recueillant ces doléances, les représentants des différents conseils se concerteraient et porteraient à l’attention des gouvernants – idéalement en représentation collégiale pour éviter toute prise de possession personnelle du pouvoir – ces réclamations, d’ordre principalement économique et sociétal, et qui permettraient une véritable action locale et en accord avec la population qui pourra voir évoluer et évaluer la politique qu’elle a mise en place lors des élections.

Tout est en place pour que le Sénégal puisse devenir un pays développé, économiquement et politiquement. Reste à savoir si les dirigeants actuels accepteront l’évolution de ce pays et l’aideront à trouver ce chemin de véritable démocratie à l’africaine.

Priscille Brillat 

 

Publié dans AFRIQUE

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