INTERVIEW INÉDITE DU PROFESSEUR CHEICK OUMAR DIARRAH

Publié le par Baréma Bocoum

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Docteur en Sciences Politiques à la Faculté de Droit, des Sciences Politiques et Sociales, Université de Bordeaux I (1987) et Docteur en Etudes Africaines, Centre d’Etudes d’Afrique Noire (CEAN), Institut d’Etudes Politiques, Bordeaux (1982), l'honorable professeur Cheick Oumar Diarrah fut ancien Maitre-Assistant a la Faculté de Droit de l’Université Marien Ngouabi à Brazzaville au Congo de 1984 à 1988. Par ailleurs il a été Vice-Président de l’Association Internationale pour la Recherche et le Développement en Afrique à Paris (1989-1990), il fut Directeur de Cabinet du Ministre d’Etat, chargé de l’Education au Mali, 1992-1993.Ensuite il fut Conseiller politique du Premier ministre, Bamako de 1994và 1995.Il fut également Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République du Mali auprès des Etats-Unis d’Amérique( Washington DC de 1995-2002) avec juridiction sur le Brésil, l’Argentine, le Pérou, l’Uruguay, le Venezuela, la Colombie, le Chili, Haïti, le FMI et la Banque Mondiale. Après avoir été ambassadeur à Washington, il fut Secrétaire Exécutif de la Commission mixte Cameroun-Nigéria (Bureau des Nations pour l’Afrique de l’Ouest) à Dakar, Sénégal, de 2003 à 2004. Il est actuellement Professeur à Michigan State University (depuis 2005).

 

Baréma Bocoum : Cheick Oumar Diarrah, après avoir occupé des postes de hautes responsabilités pour la République du Mali sur la scène internationale notamment en tant qu'ambassadeur plénipotentiaire du Mali à Washington D.C), quel regard portez-vous sur cette période et qu’avez-vous retenu sur la coopération bilatérale entre le Mali et les Etats-Unis?

COD: Je suis arrivé à Washington en septembre 1995. J’étais littéralement porté par le geste historique que le peuple malien avait accompli en mettant fin à 23 années de dictature brutale et obscurantiste du général Moussa Traoré. Dictature, qui s’est effondrée dans un bain de sang le 26 mars 1991. Le peuple et les dirigeants américains avaient une considération immense pour le peuple du Mali qui s’était dressé comme un seul homme pour réclamer et restaurer sa liberté. Ma tâche a ainsi été facilitée par cet évènement historique d’une ampleur exceptionnelle. Cela m’a grandement ouvert les portes de Washington. J’ai donc travaillé dans de très bonnes conditions. La coopération bilatérale s’est considérablement développée. Je citerais brièvement quelques exemples. Au cours de ma mission, j’ai participé et contribué à ces différents évènements : deux rencontres entre le Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta et le Vice-président Al Gore (octobre 1995 et février 1999), deux visites du président Alpha Oumar Konaré à la Maison Blanche (rencontres avec le président Bill Clinton, le 19 novembre 1997 et rencontre avec George W. Bush le 21juin 2001), visites au Mali des Secrétaires d’Etat Warren Christopher (octobre 1996), Madeleine Albright (octobre 1999) et Colin Powell (mai 2001). Le Mali dispose d’un capital historique et culturel inestimable. Si les Maliens réussissent à le mettre en valeur pour le Bien-être commun, ils pourraient alors accomplir de grands bonds en avant.

Baréma Bocoum: Professeur, quels sont dans l’histoire des Relations internationales, les personnalités dont l’exemple vous inspire ?

COD: L’histoire est remplie de personnages intéressants dont on peut valablement s’inspirer. J’en choisis quelques-uns qui m’ont particulièrement marqué. En premier lieu, il y a le Prophète Muhammad (PSL) qui a changé le cours de l’histoire de l’Humanité et dont les actes, la sagesse, la clairvoyance, la générosité, la qualité de son rapport à l’autre, sont une source inépuisable d’inspiration. Après fondé un Etat à Médine, il a défini les rapports de coopération et cohabitation avec les autres nations. Je pense en second lieu à Franklin Delanoë Roosevelt, qui au-delà de son rôle dans le redressement de l’économie américaine grâce au New Deal, a été l’un des artisans majeurs de la victoire sur le nazisme même s’il est décédé quelques mois avant les capitulations allemande et japonaise. L’Afrique contemporaine a engendré des hommes d’une envergure exceptionnelle comme Nasser, qui a rendu sa fierté à la nation arabe, Nkrumah, qui est le véritable apôtre du panafricanisme et dont les idées demeurent plus que jamais vivaces dans l’esprit et le cœur de tous ceux qui veulent bâtir une Afrique réellement indépendante, maîtresse de son destin et en mesure d’apporter au Monde son message de paix et de fraternité. On peut également citer Nelson Mandela, dont les convictions n’ont pas été ébranlées malgré 27 années d’emprisonnement et qui s’est volontairement retiré du pouvoir après avoir jeté les bases de la réconciliation entre les communautés qui composent la « Nation Arc-en-Ciel ». J’éprouve une grande admiration pour Mao, qui a mis la Chine debout, pour Chou Enlai, qui a joué un rôle déterminant lors de la Conférence de Bandoeng et Deng Xiaoping, qui est le véritable artisan de la Chine moderne. Enfin, je pourrais encore mentionner tous les pères fondateurs des Etats-Unis comme Washington, Jefferson, Madison, Franklin etc… qui ont érigé une République respectueuse du droit des gens où seule compte la valeur intrinsèque de l’individu indépendamment de sa couleur, de son origine. Il y a là une source d’inspiration pour nous autres Africains, qui doivent construire l’unité de l’Afrique afin que celle-ci devienne un phare resplendissant au cours du XXIème siècle.

Baréma Bocoum: Vous êtes l'auteur du célèbre ouvrage sur "Le Mali de Modibo Keita", que pouvez-vous nous dire sur l'homme d'Etat qu'il fut et que pensez-vous du défi démocratique au Mali pour les prochaines années?

COD: Modibo Keïta s’est sacrifié pour l’indépendance du Mali. Puis, avec ses compagnons, il s’est totalement dédié à la construction d’un Mali moderne, enraciné dans ses valeurs de civilisation tout en étant ouvert aux Autres. Il a fait appel au meilleur des Maliens pour mettre en œuvre son programme d’independance nationale et de justice sociale en (a) créant une monnaie nationale (le franc malien), (b) en réorganisant la paysannerie (à travers le mouvement coopératif) afin qu’elle devienne elle-même le vecteur de la modernisation du monde rural, (c) en jetant les bases d’une industrie nationale destinée à satisfaire les besoins fondamentaux des citoyens grâce à la transformation des produits agricoles, (d) en mettant en œuvre une réforme de l’enseignement, saluée à l’époque par les meilleurs experts en la matière, (e) en réhabilitant la culture nationale (à travers, entre autres, les semaines nationales de la jeunesse) afin de décoloniser totalement les mentalités et permettre aux Maliens de retrouver la trame profonde de leur histoire multiséculaire. Modibo Keïta et ses compagnons ont également été les artisans d’une politique africaine et internationale fondée sur la recherche de la paix, la coopération et l’entente entre les peuples. Il était un fervent partisan de l’unité africaine ; ce qui l’a amené à fonder en 1959 avec les dirigeants sénégalais la Fédération du Mali qui, malheureusement, ne résistera pas aux vicissitudes de la décolonisation. Avec Kwamé Nkrumah et Sékou Touré, il mettra sur pied l’Union Ghana-Guinée-Mali. Là encore, il a été certainement très avance sur le cours de l’histoire. On retiendra également qu’il a joué un rôle particulier au sein du Groupe de Casablanca aux côtés du Roi Mohamed V du Maroc, de Gamal Abdel Nasser d’Égypte, de Nkrumah, de Sékou Touré et des dirigeants du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA). Enfin, il faut noter qu’il a été l’un des pères fondateurs de l’OUA en mai 1963. Modibo Kéita était en outre, un homme épris de paix. En 1963, il a réconcilié le président algérien, Ahmed Ben Bella et le Roi Hassan II du Maroc lors d’une rencontre à Bamako en présence de l’Empereur Haïlé Sélassié. Ce sera la seule fois dans l’histoire contemporaine qu’un chef d’Etat d’Afrique subsaharienne réussira à régler un conflit concernant deux pays arabo-africains! Il convient enfin de souligner que c’était un vrai démocrate qui respectait l’opinion des autres. C’est pourquoi, il était entouré de compagnons et de camarades dotés de qualités supérieures. Qu’il s’agisse de Mamadou Madeira Keïta –qui est l’un des fondateurs du Parti Démocratique de Guinée, d’Ousmane Ba –qui reste jusqu’à présent le ministre des Affaires étrangères le plus applaudi dans l’enceinte des Nations Unies- de Seydou Badian Kouyaté –un grand romancier ( Sous l’Orage, le Sang des Masques, la Saison des pièges..), essayiste (les dirigeants africains face à leur peuple), dramaturge (la mort de Chaka), de Mamadou El-Béchir Gologo (l’auteur du rescapé de l’Ethyloset de plusieurs poèmes dont Mon cœur est un volcan). Je pourrais également citer Baréma Bocoum qui disposait d’un solide ancrage dans la région de Mopti et qui a dirigé la diplomatie malienne, Mamadou Diarrah, Ténéman Traoré et autres… Toutes ces personnalités ont servi le Mali avec dévouement, abnégation en ayant constamment comme objectif de faire triompher l’intérêt supérieur de la nation malienne. Sans exagérer, le Mali avait, au cours de cette période, l’une des meilleures classes politiques du Continent. Modibo Keïta a été déposé lors du coup d’état militaire du 19 novembre 1968 et emprisonné à Kidal dans des conditions infra-humaines. Ces geôliers ont mené des enquêtes approfondies, procédé à des interrogatoires très serrés sur sa gestion. En aucun cas, ils n’ont pu déceler la moindre trace de corruption. Ni contre lui, ni contre aucun des membres de son régime. Modibo Keïta était d’une intégrité à toute épreuve! Le 16 mai 1977, Modibo Keïta est mort en détention dans des circonstances que l’histoire éclaircira un jour, par la Grâce de Dieu.

Plus globalement, on peut retenir que le président Modibo Keïta était un homme exceptionnel, profondément enraciné dans la culture de son pays, ayant un sens aiguë de la justice sociale, sourcilleux quant au respect de la dignité et de l’honneur de l’homme noir en général, intransigeant concernant l’indépendance de l’Afrique et totalement dédié à la construction de l’unité continentale. Les actes accomplis par le président Modibo Keïta et ses compagnons constituent une semence fertile qui fécondera un jour la terre africaine.

Quels que soient les chemins que l’on empruntera, les peuples africains se rendront à la réalité fondamentale suivante : Seule l’unité continentale permettra aux Africains de bâtir une véritable independance, de recouvrer leur souveraineté sur leurs richesses, de construire un univers conforme à leurs aspirations de justice sociale, de progrès et de liberté et d’apporter au Monde un message de paix et de fraternité. Car, malgré les vissicitudes et les meurtrissures de l’histoire, l’Afrique demeurera toujours le Continent d’où jailliront les idées prônant la réconciliation et la fraternité entre les humains. La sagesse africaine nous enseigne: «l’homme est le remède de l’homme».

S’agissant du défi démocratique au Mali, ma réponse est simple, c’est au peuple malien et, singulièrement, à sa jeunesse, de prendre à bras-le-corps son destin et de l’assumer en vue de la réalisation de ses légitimes aspirations de progrès et de justice sociale. Rien de grand ne peut réussir sans sacrifices. De plus, il faut absolument mettre fin «au chacun pour soi» qui n’aboutit qu’à des impasses stériles. Il faut accepter de tendre la main à l’autre afin de bâtir ensemble un Mali nouveau en mesure d’apporter une contribution significative à l’unification de l’Afrique au cours de ce siècle.

Baréma Bocoum :- Espérez-vous, qu’un jour le conseil de sécurité de L’ONU connaitra un véritable élargissement plus représentatif de la communauté internationale?

COD: Je suis profondément convaincu qu’on assistera dans les années à venir à un élargissement du Conseil de Sécurité. Le problème principal auquel on est confronté c’est l’existence d’un pouvoir exorbitant entre les mains des cinq membres permanents qui disposent d’un droit de veto. C’est cela qu’il faut réviser et faire en sorte qu’on aille vers un fonctionnement réellement démocratique de cet organe. En tout état de cause, le Conseil de Sécurité ne pourra pas continuer à fonctionner tel quel au cours de ce siècle. Le changement s’imposera. La question est de savoir est-ce que les puissances détentrices du droit de veto seront-elles capables de l’anticiper et d’agir en conséquence pour organiser le changement ou vont-elles se recroqueviller sur leurs privilèges et attendre d’être bousculées par le vent de l’histoire?

Baréma Bocoum : D’aucuns pensent que les petits pays, au sein de l’assemblée générale des nations-unies, n’ont aucune marge de manœuvre quant aux décisions internationales, qu’en pensez-vous?

COD: Le pouvoir de décision au sein des Nations Unies réside entièrement au niveau du Conseil de Sécurité. C’est pourquoi, cet organe doit, à la fois, refléter la diversité du monde et fonctionner de manière à prendre en considération les points de vue des grands blocs politico-géographiques (Amérique du Nord, Amérique latine, Europe occidentale, Chine, Inde, Afrique…). L’organisation d’un tel mécanisme reste à être inventée.

Baréma Bocoum: Concernant l'actualité internationale, pensez-vous que l'évolution des technologies de l’information (Facebook, Twitter) a-t-elle également joué un rôle important quant à la chute des régimes tunisiens et égyptiens?

COD : Les nouvelles technologies ont été des instruments efficaces ayant permis aux peuples de mieux s’organiser pour combattre les dictatures. Toutefois, c’est la volonté inébranlable des peuples à changer la situation déplorable dans laquelle ils vivaient qui a fait la différence.

Baréma Bocoum: Finalement, que nous apprennent ces révolutions arabes et comment pourraient-elles évoluer en Libye?

COD : Il y a trois enseignements majeurs qui me viennent à l’esprit. Premièrement, le pouvoir appartient au peuple. La mission fondamentale des dirigeants est de servir le peuple et non de l’asservir. Deuxièmement, lorsqu’un peuple décide de prendre en main son destin, aucune force ne peut l’empêcher de triompher de ses bourreaux. Troisièmement, la jeunesse a été le fer de lance de ces changements car les régimes en place ne lui offraient aucune perspective positive. On était en présence d’un conflit générationnel majeur. Il y avait deux vieux dictateurs qui étaient incapables de comprendre que la structure démographique de leur pays avait totalement changée. De plus, ces régimes reposaient principalement sur la peur qu’ils inspiraient aux populations. Les dictatures tunisienne et égyptienne étaient essoufflées. Elles ne disposaient plus d’aucune capacité de création historique. La révolution intervient quand les gens d’en-bas ne veulent plus être gouvernéscomme avant et lorsque les gens d’en-haut ne peuvent plus gouverner comme auparavant. Telle était exactement la situation de la Tunisie et de l’Egypte il y a quelques semaines. Quant au régime libyen, il est condamné à disparaître car il est, à la fois, corrompu, tribaliste, répressif, dépourvu de vision et totalement incapable de satisfaire les légitimes aspirations de progrès et de justice des Libyens. Ici, également, il y a un conflit générationnel immense : plus de la moitié des Libyens sont nés après le 1erseptembre 1969, date du coup d’état militaire perpétré par le colonel Mouammar Gaddafi. Cependant, dans ce cas-ci, on risque peut-être d’assister à des affrontements meurtriers entre les partisans du changement et le résidu des forces fidèles au dictateur. Toutefois, il n’est pas impossible que le système s’écroule subitement, car, le propre des vieilles dictatures (42 ans), c’est que ce sont «des tigres en papier», ces régimes sont tellement minés de l’intérieur et repus par la corruption qu’il suffit d’une pichenette pour les abattre.

Entretien conduit par Baréma Bocoum, Président de Rinews: La revue de l'espoir

Nos sincères remerciements au Docteur Cheick Oumar Diarrah pour sa disponibilité et ses importants conseils.

Publié dans INTERVIEWS

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